mercredi 23 mars 2011

Dans un marécage socio-economico-culturel

Le retour à la Capitale après une semaine dans le Sud du pays, c’est comme traverser un miroir… Passer à travers le voile qui sépare d’un coté le Gabon moderne, vitrine d’un développement de l’économie mondialisée, ici essentiellement soutenu par les exportations de pétrole, de manganèse et de bois ; et d’autre part le Gabon profond, plongé au cœur de le forêt équatoriale, très peu peuplé, en marge du dynamisme économique et social incarné par un terme cher au nouveau gouvernement : « l’émergence ». Cette émergence, elle semble en effet exister à Libreville, Port-Gentil ou Franceville, dans les bâtiments des Ministères, les villas des hommes d’affaires, les magasins du centre ville, les 4x4 flambant neufs. Mais une chose est sure, c’est qu’elle peine à atteindre les zones reculées du pays, enclavées par la distance et les mauvaises infrastructures de transports, délaissées par les opérateurs économiques qui viennent prendre la matière première et s’en retournent à leurs préoccupations financières, laissant derrières eux des villages et des villes dans l’obscurité du sous-développement, la solitude d’une île humaine au milieu du désert vert. 
Sur les rives de la Ngounié à Fougamou...

La poussière sur les pistes Africaines

Se sont donc écoulés 10 jours, durant lesquels nous (une sociologue Gabonaise, un chauffeur mécano et moi) avons parcouru le Sud, plus précisément les provinces de la Nyanga et de la Ngounié. Première mission d’une étude socio-économique dans 104 villages de la région qui ne fait que commencer... Comme il est d’usage en Afrique mais aussi ailleurs, l’autorité, la hiérarchie et le cadre administratif et politique doivent être respectés. Les autorités Provinciales, Départementales puis Locales (l’ordre est important !) ont donc vues débarquer 3 personnes chargées de les informer et de recueillir leurs opinions sur un projet forestier. Ce dernier concerne 300 000 hectares de forêts (oui oui c’est énorme… Mais pas tant que ça pour la région) qui vont être exploités (soit disant) selon des principes d’aménagement durable qui respectent les trois piliers évoqués dans un précédent message (Social, économie, environnement). Pour cela, notre travail, dans le cadre de l’étude socio-économique, consiste à enquêter dans les villages pour dresser un état des lieux de l’environnement socio-économique et culturel de la zone. Histoire, démographie, aménagement du territoire, éducation, santé, traditions, contexte socio-politique, agriculture, chasse, pêche, cueillette… Quels sont les difficultés, les inquiétudes, les attentes, les besoins des populations ?
Une rivière qui traverse la forêt

Sur le chemin de l'école à Moabi

Une régime de bananes plantains dans un maquis

Je me trouve vraiment au cœur de ce qui m’a toujours passionné. Les Hommes, l’environnement, et cette problématique insoluble qui confronte et/ou associe développement économique et social et épanouissement de chacun vers plus de justice et d’égalité. 

Ma question est simple. Comment peut-on résoudre cette équation à multiples facteurs (Etat, société privée, populations) pour améliorer le monde et la vie des Hommes ? Cette équation, la voici ici illustrée au Gabon. 

Un pays riche de matières premières. Une stabilité politique presque inégalée en Afrique, incarnée par l’image d’un défunt Président à vie, feu Omar Bongo Odimba. Une histoire politico-économico-mafieuse  avec la France qu’on appelle « Françafrique » ou encore « France à fric ». En environnement riche mais aussi particulièrement difficile car la forêt dense est une prison verte pour celui qui s’y trouve au quotidien. Un contexte ethnique des plus classiques avec 54 ethnies réparties sur un territoire aux infrastructures routières délabrées. Le pays, par sa stabilité politique, l’abondance de ces richesses en matière première et sa population constitue une exception dans cette Afrique Centrale rongée par des conflits armés (RDC, Congo, Centrafrique, Rwanda, Burundi, etc.). Les investisseurs étrangers y sont donc nombreux, les expatriés ou expat’ tels qu’on les appelle ici occupent la plupart des postes de direction ou à responsabilité dans les sociétés privées à Capitaux Européens (France, Allemagne, Italie, etc.), Américains (USA, Canada) ou Asiatiques (Chinois, Indiens, Malaysiens). L’Etat quant à lui est à l’image d’un parti resté longtemps unique et en tout cas ultra-dominant: le PDG (Parti Démocratique Gabonais). Les arrangements, la corruption, les détournements, l’incompétence, la malhonnêteté sont au cœur de l’appareil d’Etat ainsi que pour les autorités de tous niveaux. Même les plus petits fonctionnaires : policiers, militaires, administration, douanes, etc. ont pour habitude de se servir dans le sac puisque les salaires peinent à nourrir une famille toujours plus grande de jour en jour… La « bonne gouvernance » est un mythe, la « gouvernance tout court » pas encore une réalité. Troisième acteur, les villageois. Vivant la depuis depuis (expression Africaine)… L’activité économique de la zone est souvent nulle. Des routes médiocres et un trafic rare rendent quasi impossible l’agriculture commerciale. La chasse d’antilopes, gazelles, porc-épic, singes, crocodiles, pangolins et autres (éléphants, gorilles, panthères, etc.) permet de consommer des protéines ou bien de gagner des petits 5000 FCFA (6-7 euros pour un singe moyen par exemple) lorsqu’une voiture s’arrête… Les villageois pratiquent souvent la chasse, la cueillette, la pêche, l’exploitation de quelques arbres et même des cérémonies aux ancêtres, dans la forêt. Des droits coutumiers existent dans l’esprit de chacun tandis que l’Etat possède dans les textes la propriété (quasi) exclusive des forêts du pays. Du jour au lendemain, on annonce aux villageois qu’une société étrangère va venir exploiter le bois, qu’elle payera des impôts, et que l’Etat trop occupé à enrichir ses ministres et autres, ne reversera pas un centime dans la région ! Quelle est la réaction logique ? L’indignation (spéciale dédicace à Stéphane Hessel) !
Petit Zozio tout beau

Opla ! 
L'agriculture sur brulis en photo

Le petit bandit de Moabi !!!
Et la forêt au Gabon ca marche comment ?

Et bien en Afrique, suite à la décolonisation, l’Etat est devenu propriétaire de TOUTES les forêts du pays (comme c’était le cas dans toute l’Afrique Française pendant la colonisation). Même si des progrès tendent récemment à être faits dans quelques pays, le droit coutumier/traditionnel sur la terre n’est pas reconnu par la loi. Dans les faits, l’Etat s’accorde le droit de vendre ou céder des zones immenses à des sociétés étrangères (ou non) qui se proposent d’exploiter le bois en échange du payement de taxes et divers impôts. Les populations  doivent ensuite faire avec et voir leur territoire impacté par des étrangers qui trop souvent ne leur rapporte rien. Ou si peu... Comme on dit souvent « les grands perdants » sont toujours les mêmes et la question n’est pas de savoir comment les aider mais plutôt comment leur donner le droit à ce qu’ils méritent.

C’est donc avec cet espoir, cet objectif que je travaille chaque jour ! Contribuer à ce que l’exploitation forestière soit plus juste, plus favorable aux populations. Sans pour autant tomber dans l’assistanat, dans la contribution facile, j’espère œuvrer à une meilleure intégration des préoccupations villageoises dans l’exploitation. Et elles sont nombreuses !!! Il est probablement de bon ton dans certains milieux de croire que le pauvre autochtone veut protéger sa forêt contre les méchants « blancs »… Malheureusement la réalité est tout autre ! La question pour les populations n’est pas de savoir comment protéger leur forêt mais plutôt qu’est ce qu’ils vont en tirer ??!!! Comment la société qui vient couper du bois chez eux (traditionnellement parlant) va contribuer au développement du village (économiquement parlant) ? Comment la société va compenser les impacts de l’exploitation ? Va-t-elle construire de nouvelles routes, entretenir les anciennes ? Va-t-elle embaucher les rares jeunes encore au village ? Va-t-elle essayer de les empêcher de chasser sous prétexte d’une idée de blanc appelé « conservation de la biodiversité » ?

Et je crois pouvoir dire qu’il y a de tout ! Et que justement c’est ce qui complique l’affaire… De l’exploitant sauvage qui distribue des enveloppes de billets dans l’administration, aux Eaux et Forêts, en passant par la police, etc. A celui qui essaye d’agir convenablement et qui subit les pressions de l’administration, le racket de certaines populations etc. En passant par des populations pauvres qui se sentent flouées à la fois par l’Etat, des représentants locaux et par l’entreprise étrangère… Les situations sont souvent complexes et loin des clichés du méchant blanc ou du méchant noir… Je crois cependant que depuis des décennies, ce sont les étrangers qui ont su le plus profiter de la faiblesse des institutions Etatiques pour piller les ressources du Continent. La corruption n’est pas seulement l’affaire des méchants Africains, elle est aussi le jeu de nos grands groupes dont les économistes sont si fiers !!! Areva, Total, Boloré, Suez, Bouygues, Orange, Rougier, Nestlé, etc. Nos amis Américains, Européens, Chinois, Libanais ne sont pas en reste au pays de la France à fric ! Tous savent comment distribuer les bonnes enveloppes aux bonnes personnes, pour avoir un contrat, pour payer moins d’impôts, pour détourner des cargaisons, pour se sortir d’une mauvaise passe, pour contenter un fonctionnaire trop gourmand…

Je suis donc plongé dans ce milieu, dans ce marécage socio-économico-culturel. Des villages pauvres, délaissés par les investissements de l’Etat. Souvent soumis à un fort exode rural avec une jeunesse qui fuit pour rejoindre les villes… Une activité économique quasi nulle, seulement l’agriculture vivrière, la chasse, et les contributions des « grands frères » qui ont réussi un peu en ville… Le paysage est un peu désolant parfois… Loin des clichés d’une Afrique joyeuse malgré la pauvreté… Oui le sourire est là, la bonne humeur aussi, mais n’empêche que l’absence de perspectives, l’absence de sécurité, l’absence de dynamisme démographique et culturel sont une réalité accablante et quotidienne pour ces populations ! Le simple fait de constater que certains villages ne sont peuplés que de vieux suffit à illustrer la situation… Les jeunes s’en vont, ils fuient vers les villes ! Ils fuient vers "le village-monde".

Entre le cochon et le sanglier, le cochonglier

Pont en lianes (et en câbles mais ca fait moins exotique...)

Pont en lianes (et en câbles mais ca fait moins exotique...)
Un village en forêt
Ce message est très forestier, une fois n’est pas coutume. Je vais donc vous balancer quelques anecdotes en vrac qui illustrent la vie en Afrique, au Gabon…

J’arrive dans une petite ville, Mimongo. Le Préfet est un espèce de dictateur esclavagiste qui terrorise sa population. Ne respectant même pas les traditions, les normes, il se permet de parler avec mépris et dédain à des mamans, à des vieilles (le terme n’est pas péjoratif en Afrique). Moi, je suis obligé de travailler avec lui et rester poli malgré le dégout qu’il m’inspire... Ce jour la, je joue au foot avec un pygmée d’1m45, vétu d’un maillot du FC Barcelone et surnommé « Messi », le jeune se balade vraiment balle au pied… Ma première rencontre avec un pygmée est très loin du cliché… Peuple indigène de chasseurs-cueilleurs, c’est la tout l’imaginaire d’un occident qui n’en fini pas de fantasmer sur ce qu’il a perdu depuis longtemps… Mais ici les pygmées sont méprisés, ils ont généralement toujours été marginalisés, spoliés, exploités par les populations d’origine Bantou. Aujourd’hui, une bonne part de ces peuples tendent à rejoindre le monde, les autres ethnies, la technologie, les routes, l’électricité, la Champions League … Certains continuent de s’accrocher à leur mode de vie ancestrale mais pour combien de temps encore ? Le temps joue contre les modes de vies et la culture de ces derniers peuples restés hermétique à la modernité occidentale.

Nous allons boire un verre avec des collègues après le travail. Chez nous en Europe, on a coutume de payer chacun ce que l’on boit. Parfois offrir une tournée mais en tout cas partager les frais… Ici au Gabon comme ailleurs en Afrique, c’est une seule personne qui offre ! S’il invite, il invite ! Il n’est pas question de partager des histoires de quelques FCFA… Souvent, les blancs se sentent floués ou arnaqués en Afrique. Parfois c’est vrai mais la plupart du temps, ils sont simplement vus comme celui qui a le plus d’argent (parfois à tord) et donc celui qui naturellement doit inviter ses amis. Mes collègues Gabonais raillent cette habitude de blanc qui consiste à partager l’addition… Le problème n’est pas une question de couleur de peau, c’est une question de culture. Le plus riche, le grand frère, celui qui travaille, qui a l’arzzzent (avec l’accent Sénégalais), c’est celui la même (expression Africaine) qui invite… Il n’a même pas toujours le choix, c’est un principe…

La solidarité à l’Africaine ! Ah la belle utopie ! Chez nous (en France), la solidarité est une affaire d’Etat. Chacun paye des cotisations, des taxes, des impôts qui servent à aider les plus nécessiteux, les plus fragiles, les malades,… Ici, l’Etat est quasi absent. Aucune aide en cas pépin, aucune sécurité sociale si tu es pauvre, aucun resto du cœur, pas de RMI, pas d’allocations chômage… La solidarité est donc depuis toujours familiale, clanique. Une personne qui travaille, qui a un salaire, doit assumer avec elle entre 10 et 30 personnes ! Dans ce contexte comment capitaliser ? C’est tout simplement impossible de penser uniquement à soit… Les frères, sœurs, parents, cousins, amis, qui sont dans la galère sont autant de personne que tu dois aider au quotidien pour ne pas les voir sombrer dans la misère la plus totale… La pression sociale est énorme ! Quelque soit le niveau, le devoir de solidarité avec ta famille et tes proches est une constante… C’est une chose que je comprends bien, mon père a vécu toute sa vie avec cette pression… Parfois, la critique de l’extrêmement règlementé, l’Etatisation de la solidarité consiste à dire qu’elle détruit les liens sociaux, les solidarités de proximité... Même si les aspects positifs ne manquent pas, j’ai le sentiment que cette sécurité garantie par l’Etat est peut être un pic dans le cœur de la solidarité familiale... Par contre, il existe une autre critique, moins fréquente celle-ci… La critique des systèmes de solidarité traditionnels dans un monde moderne. Parce qu’après tout, quand on y pense, n’est ce pas la solidarité Africaine qui est en partie responsable des dictatures, de la corruption, du népotisme… ? N’est ce pas cette douce utopie idéalisée par nous les « bobo blancs » qui pousse des chefs d’Etat à favoriser amis et famille plutôt que la compétence et l’honnêteté ? N’est ce pas la belle solidarité qui contraint des chefs d’Etat vieillissant à garder le pouvoir pour continuer d’aider ses proches, son clan, sa tribu, son ethnie ? N’est ce pas ce devoir d’aider tous ceux qui demandent qui bride l’initiative personnelle, l’investissement, etc. ? L’angélisme et les idées préconçues ne doivent pas brider l’analyse et le jugement que l’on se fait d’une société… Les Hommes ne sont pas des bisounours et leurs sociétés ne ressemblent ni à des arc-en-ciel ni à des nuages de crème !

Dernière anecdote ou plutôt dernière remarque géopolitique. Aujourd’hui, au nom d’un esprit Humaniste et pacifique, nous avons engagé une guerre aérienne avec Kadhafi (qui semble avoir la tête en l’air c’est déjà ça !). Pour sauver des vies civiles, Monsieur N.S. a décidé d’aller bombarder les troupes de son ami Mr. K, dont il serrait pourtant chaleureusement la main il y a à peine 2 ans… Les contrats juteux ont été oubliés pour laisser place à l’humanisme par frappes aériennes ! J'aurais critiqué quoi qu'il  arrive l'inaction de la communauté internationale mais... Une question me vient : Pourquoi, alors que les milices janjawid du Soudan massacraient 300 000 Darfouri avec le soutien de Khartoum, la communauté internationale n’a-t-elle rien fait ? Pourquoi en 1994, le monde s’est retiré du Rwanda pour laisser faire l’abominable, le « plus jamais ça du lendemain de 1945 », le génocide… Pourquoi n’agit on pas en Corée du Nord, au Myanmar, au Gabon, en Côte d’Ivoire, au Yémen, à Bahrein, au Tibet, en Iran, en Corse, en Irlande et ailleurs ? Pourquoi à chaque fois qu’un groupe révolutionnaire né en Afrique, il est catalogué « rebelles » par les médias et les autorités Françaises ? Pourquoi soutient-on ouvertement des dictateurs sanguinaires dans certains pays ? Pourquoi, aujourd’hui en Libye et pas ailleurs ? Seulement pour les droits de l’Homme… ? Haha, rions mes amis, les intérêts de nos politiciens nous dépassent… Leur stupidité aussi par moment…

De la forêt à la planche, il n'y a qu'une scie

Coupé décalé !

Une peau de panthère au mur d'un garde des Eaux et Forêts...

Quand il pleut, ça glisse Marcel !

Brouette de "Sans noms" (c'est le noms du poisson)
On ne s'en lasse pas...

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