vendredi 4 mars 2011

Dans l'attente d'un titre

Un énorme orage vient d’éclater. Les craquements terribles du tonnerre tout proche font trembler les murs et vaciller l’électricité. Dehors, la pluie tombe tel un océan d’eau douce qui se déverserait soudainement du ciel sur la terre sous la forme d’un mur liquide. Je crois que c’est le signe du début de la vraie grande saison des pluies durant laquelle il tombe en 3-4 mois l’équivalent de 1 ou 2 ans de pluie en métropole… Changement climatique ou simple approximation de mémoire et de perception humaine, la plupart des personnes rencontrées ici me disent qu’il n’y a plus de saison de nos jours (cette phrase semble universelle !) et que les pluies tardent à faire leur apparition depuis quelques années…

Mais finalement, pour le Gabon, peu importe, les pluies n’ont que peu d’importance ! Ce pays est un champ de pétrole, doublé d’une forêt de bois précieux,  triplé d’un gigantesque gisement de manganèse. L’agriculture est marginale donc la pluie ne revêt pas vraiment un caractère vital pour la plupart des Gabonais! La population rurale est ici bien moins importante qu’ailleurs en Afrique subsaharienne. Il y a bien une agriculture vivrière dans les villages, constituée surtout de banane plantain, manioc, taro, oseille, aubergine africaine, piments et quelques autres produits… Mais une chose est sure, les Gabonais ne sont pas de grands agriculteurs ! La chose s’explique aisément… La densité de population faible et les richesses de la forêt ont fait que de tous temps les Hommes ont trouvé de quoi subvenir à leurs besoins sans développer de systèmes de cultures étendus et chronophages. Fruits et légumes sauvages, viande de chasse, poissons, les richesses de la forêt ne manquent pas ! Et elles sont partout autour, presque à portée de main ! Même lorsqu’il s’agit de cultiver, il a été montré que le rapport « calories alimentaires produites sur calories/énergie consommées » était l’un des plus élevés au monde dans ces systèmes agricoles traditionnels d’Afrique Centrale… En d’autres termes, ca pousse tout seul! Autre argument pour justifier la faible production agricole à l’échelle du pays, les densités élevées de gros mammifères et en particulier d’éléphants peuvent rendre quasiment impossible voir cauchemardesque la mise en culture de zones étendues tant les dégâts aux cultures causés par les pachydermes peuvent s’avérer importants et répétés (à cela il faut ajouter les oiseaux, les singes, les gazelles, les antilopes, les rats, etc.). Quoi qu’il en soit, il est clair que le Gabon est très très loin d’être autosuffisant et la majeur partie des produits viennent du Cameroun voisin, du Brésil (viandes), d’Afrique du Sud mais aussi de France en ce qui concerne les produits industriels à l’Européenne… Bien sure, s’il on se focalise uniquement sur les dernières décennies, la manne pétrolière n’est pas non plus étrangère à l’absence de politique de développement du secteur agricole… Pourquoi s’abaisser à cultiver quand on a plein de dollars ?!
Petits champs derrière le village de La Woubué

TOTAL, la (grosse) vache à lait du Gabon (et de la France !)
Je suis donc de retour de forêt où j’ai passé 3 jours pour former et suivre des équipes de layonnage. Leur travail consiste -selon un protocole bien définit- à ouvrir le sous-bois dense de la forêt en lignes droites de 20 à 30 kilomètres de long (et donc dormir en forêt parfois plusieurs semaines d’affilées) et à matérialiser des parcelles de 50, 100 et 200 mètres de long pour les futurs comptages d’arbres (en vue d’une exploitation…).
Les gars de l'équipe de layonnage !

Les pro ! Respectivement 25 et 20 ans de terrain en forêt
Bouuuuuuuhhhhh j’entends déjà les soupires atterrés des plus écolo d’entre vous… Mais ma réponse est claire. La question finalement n’est pas savoir si c’est bon ou non de couper des arbres. La question importante est la suivante : que se passe-t-il si l’on ne fait rien ? Et bien la réponse est toute simple, les forêts sont coupés sauvagement avec pour seul soucis la rentabilité économique ! Les Etats SOUVERAINS (ce n’est pas WWF ou GreenPeace qui décide du droit ou non d’un pays et d’un peuple à exploiter ses ressources naturelles) encouragent dans tous les cas l’exploitation forestière pour des raisons purement économiques et sociales (entre autre l’emploi), de même qu’ils ne restent pas assis sur des puits de pétrole en pensant aux changements climatiques, aux petits oiseaux et aux potentiels marées noires… Et cela encore moins quand nous (au Nord) sommes demandeurs et consommateurs avides de ces produits! Que l’on soit d’accord avec cela ou non, les Africains et les pays en développement en général sont souverains et indépendants ! Les défis auxquels ils sont confrontés sont énormes et quoi que l’on puisse dire ou penser, les ressources naturelles qu’ils possèdent sont un outil de développement certes pas suffisant mais essentiel ! Une fois cela admis et compris, il s’agit de réfléchir à comment faire pour que cela se fasse dans les meilleurs conditions tant pour l’environnement que pour les populations… Et bien malgré une persistance des mauvaises pratiques et l’existence d’une déforestation encore active sous les tropiques, il existe des techniques et des méthodes qui reposent sur des données scientifiques, et qui encouragent à la prise en compte des aspects sociaux et environnementaux dans l’exploitation forestière. Rien d’idéal ou de révolutionnaire mais il existe une volonté de plus en plus marquée de gérer durablement, ce qui se traduit par la mise en place « d’aménagements forestiers durables ». Ces derniers sont basés sur la planification et la gestion raisonnée à travers la prise en compte des aspects sociaux et environnementaux mais sans pour autant perde de vue la rentabilité économique (l’arzzzent !) essentielle pour satisfaire les entreprises du Nord (les méchants blancs), les consommateurs de portes fenêtres et de tables de jardins du Nord (nous, les gentils blancs qui n’y voient que du feu), les gouvernements du Sud (les méchants noirs corrompus) et leurs populations (les pauvres gentils noirs qui picorent les miettes)… ;)
Au milieu de tout cela, il y a nous. Les bureaux d’études indépendants qui menons les études pour préconiser des mesures de gestion qui satisfassent aux trois piliers du développement durable : LE SOCIAL, L’ENVIRONNEMENT et L’ECONOMIE (chacun sa préférence mais pour moi le social est en 1ère position!). Pour d’autres c’est L’ECONOMIE, le soci...erkfff et l’envir-arghhh… Pour d’autres encore c’est L’ENVIRONNEMENT, le social-mwé-mwé et l’éco...eurghhh. Il faut de tout pour faire un monde ! Mais il faut surtout un rééquilibrage urgent entre les trois pieds du tabouret pour faire un monde meilleur!
Bon… tout cela ne doit pas faire oublier les autres défis de l’Afrique (le terme est général mais certains pays - trop rares -  font des progrès rapides en encourageants !) et ailleurs. La gouvernance, la corruption, le partage des richesses, l’éducation, la santé, les infrastructures, le capitalisme prédateur, le socialisme dévié d’un autre temps, le tribalisme, la dictature, les ingérences étrangères, le néocolonialisme, le trafic d’armes, les guerres, le pillage par les multi-nationales, la mauvaise gestion, la perte de repères culturels, la mondialisation de l’idéal de développement, les dislocations des systèmes de solidarités traditionnels, le népotisme, l’ethnisme politique, la xénophobie, la frustration, … Autant de mots et expressions qui me viennent à l’esprit et qui sans avoir ni queue ni tête entretiennent entre eux des liens de causes à effets complexes qui mériteraient des milliers de pages de réflexions et d’analyses ! Et même avec des milliers d’ONG, de penseurs, technocrates, politiciens, scientifiques et intellectuels brillants, dévoués et honnêtes, les solutions miracles n’existent pas… Seul la volonté et la détermination importent, le pessimisme ou l’optimisme n’ont pas leur place s’il on veut continuer d’avancer dans le bon sens !
Le fameux Oogué !

Le Soro, arbre à la sève rouge dont l'écorce soigne la toux
Je reviens donc à cette expérience de la forêt qui fut à la fois passionnante, émouvante et éprouvante ! Passionnante car j’aime ce que je fais ici. L’aménagement forestier fait appel à des notions scientifiques (biologie, écologie, éthologie) et techniques (méthodes et protocoles), à une dimension d’ingénierie quand il s’agit de trouver des solutions et résoudre des problèmes mais aussi à une prise en compte fine des aspects sociaux et culturels, des problématiques villageoises, etc. Les défis sont conséquents, les problématiques complexes !
Emouvante car c’est tout simplement bouleversant de se trouver dans un tel environnement, d’une telle beauté. C’est quelque chose de se lever au petit matin et découvrir la forêt environnante qui s’éveille dans la brume avec ses bruits, ses odeurs, ses couleurs, sa vie… C’est quelque chose d’apercevoir un groupe de singes qui s’éloigne à votre approche, d’entendre les oiseaux dans la canopée, de tomber sur des crottes d’éléphants fraiches… C’est quelque chose de prendre son bain dans une rivière au milieu des grands arbres puis de s’endormir au village, sans électricité ni eau courante, après un plat de manioc et de bananes plantains partagé avec des personnes d’une culture différente mais qui vous accueillent avec chaleur et curiosité.
Petit matin au village de La Woubué

Idem
Feuillage du parasolier (Musanga cecropioides)

Plante à fleurs en forêt
Eprouvante car la forêt tropicale est un milieu hostile, trop chaud et trop humide où les racines et les lianes vous piègent sans cesse et tentent de vous capturer et de vous abattre au sol. Marcher ne serait ce que quelques kilomètres hors des pistes nécessite des heures de coups de machettes pour ouvrir un passage, le relief est comme un ennemi qui vous nargue à chaque nouvelle crête, le sol se dérobe, les cours d’eaux cachent des zones boueuses dans lesquelles vous vous enfoncez jusqu’aux genoux, les insectes vous dérangent, vous piquent, vous grattent, les autres animaux peuvent s’avérer dangereux (l’éléphant et le gorille sont particulièrement redoutés de tous !)…
L'enfer vert...

L'outil indispensable, la machette !

Liane enserrant un arbre

Petit cours d'eau forestier
Expérience enrichissante en tout cas !
Mes prochaines expériences en brousse seront centrées sur des enquêtes socio-économiques dans des villages. Des réunions de discussions avec les villageois, des enquêtes de groupes avec les chasseurs, les agriculteurs, les pêcheurs, le chef de village et ses conseillers, etc. Peut être aussi des ballades en forêt pour délimiter les zones de chasses, les sites sacrés, identifier les campements pygmées, etc. Je suis content car cela répond vraiment à mes attentes et à mes préoccupations personnelles d’ordres socio-économiques…
Voila, je finirai ce message par une petite anecdote bien africaine.
Marché dans une petite ville

Varan en bord de piste
Alors que nous avons chez nous des comptes épargnes, des crédits à la consommation, des livrets A, B, C, D, X, des placements en bourse, etc. Ici, une pratique informelle mais très répandue, « la tontine », consiste à cotiser chaque mois avec des amis, des collègues, des membres de la famille, une somme égale pour tous (de 1000FCFA=1.5 euros à 1 000 000 FCFA=1500 euros selon les niveaux sociaux). L’argent est récolté en début de mois et immédiatement reversé en intégralité à l’un des cotisants. Ainsi, si l’on est 4, tous les 4 mois je toucherai l’équivalent de 4 mois de cotisation. Cela tourne mensuellement entre tous les membres de la tontine. Certaines personnes cotisent dans plusieurs tontines différentes.
Quel est l’avantage puisque je n’y gagne rien finalement ? Aucun taux d’intérêt ! La question semble logique mais croyez moi, elle est profondément déconnecté des réalités Gabonaises et je crois pouvoir dire, Africaines en général.
La tontine est à la fois un système de solidarité, de partage et une forme de réseau social basé sur la confiance. C’est aussi le moyen de résister à la tentation de dépenser inutilement de l’argent capitalisé en vue d’un projet… Les quelques bières ou le restaurant que j’aurais pu me payer impulsivement chaque mois vont dans la tontine. Quand c’est mon tour de la toucher, je peux acheter directement un frigo, un vélo à mon gamin, une télé, une nouvelle robe, des marchandises, des matériaux pour ma maison, envoyer de l'argent au village ou bien… payer l’apéro et le resto à tous mes potes pendant une soirée !

Coucher de soleil en forêt Gabonaise...

2 commentaires:

  1. La tontine a largement inspiré le principe de micro-crédit (souvent collectif en afrique et en Inde) malgré ses (énormes) travers, des exemples de micro-crédit solidaire en France et ailleurs sont plutôt formidables...

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  2. Merci de ta contribution.
    En effet, ca ressemble pas mal à une sorte de micro-crédit collaboratif et sans intérêts!
    Pour info, Mohamed Yunus, "l'inventeur" du micro-crédit au Bengladesh vient d'être destitué de ses fonctions pour soit disant non respect des règles de l'institution de micro-crédits qu'il dirigait... Mais il y a aussi la dessous probablement des enjeux politiques car c'est un homme apprécié au pays !
    En tout cas un gars à dit en parlant de certaines institutions de micro-crédit "ils sucent le sang des pauvres !". A méditer...?
    Perso je n'ai pas d'avis tranché...

    Mr. A

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